AA n°298
ALVARO SIZA
Année : 1991
Auteur : LAURENT BEAUDOUIN

Je me souviens de Sao Victor émergeant des murs de granit, éclairant d’une beauté vive, le sable du chantier.

Sao Victor était la première étape d’un travail de renouvellement des quartiers populaires, où chaque élément du projet devait pouvoir trouver une dignité. L’histoire, avec ses fragments de murs qui prennaient une valeur de ruine antique, grâce au soin avec lequel Siza les préservait; le temps, par la vitalité nouvelle qui est donnée dans le contraste entre la géométrie instantanée des parties neuves et la densité temporelle des éléments anciens; la topographie, révélée par le glissement des deux horizontales des habitations et l’élargissement des murs séparatifs qui accentuent la perspective pour donner l’impression d’un plus grand espacement; les habitants eux-mêmes par la qualité du rapport entre les espaces communs et l’espace privé.

Le projet donnait une subtile perméabilité à l’intérieur de ces lieux fermés que sont les “ilhas”. Sur l’arrière une maison jamais construite permettait, par un léger décalage par rapport à la rue existante de traverser l’ilot et de rejoindre l’autre côté  à travers les bâtiments neufs. Là, les ruines des murs recréaient une nouvelle intimité. Plus loin, entre les murs, était projeté un petit théâtre extérieur et un autre ensemble de logements.  Mais le plus frappant a Sao Victor, était l’impression d’attente, le silence devant les maisons encore inhabitées. Certaines ne le seront jamais, comme les trois habitations anciennes, pourtant soigneusement restaurées.

Quelques années plus tard, les murs antiques étaient balayés, faisant place au goudron et aux lampadaires blafards, la lumière irradiante du vert d’eau des façades et l’orangé des stores disparaissaient pour un vert acide et des volets en plastique, les fines menuiseries d’acier brun étaient remplacées, les ouvertures partiellement bouchées.

Par quelques décisions volontaires ou maladroites, prises par une bureaucratie anonyme, on avait stoppé le processus, avec comme sous entendu, qu’un habitat ancien ne peut contenir assez de vitalité en lui-même pour produire son propre renouveau, qu’il vaut mieux, une fois de plus raser, mettre à plat, faire le vide.

Le travail de Siza sur Sao Victor était fondé sur l’établissement de rapports non conflictuels entre un site ancien et une création architecturale moderne.Il proposait  une alternative à la fois à la volonté de table rase de la spéculation foncière et  au dogme stérile de l’imitation imposé par les instances de préservation du patrimoine.

Il était aussi le fait d’intenses discutions avec les habitants dans le cadre des opérations SAAL mélant la passion à l’opiniâtreté pour ne pas céder à la tentation démagogique.

Un jour, peut-être, sortira de la nonchalance de l’administration,  l’idée de terminer ce qui était engagé, de retrouver, s’il n’est pas trop tard, à Sao Victor et à Bouça, l’autre quartier réalisé dans la même période, le parfum de conviction des premiers jours.

Siza, lui, continue son travail avec la même passion, ailleurs.

A Evora, le quartier de Malagueira, commencé à la même époque, est aujourd’hui un morceau de ville vivant, qui a établi ses attaches, ses connections avec les grandes fermes, les quartiers de maisons clandestines, la ville ancienne. Malagueira a grandi dans la douleur et les luttes pour atteindre ce moment de sérénité, tant attendu par Siza, d’équilibre entre la ville et son paysage, entre le nouveau et l’existant, entre le construit et le naturel. Cet équilibre, Siza n’en dévoile pas facilement l’origine. Il se refuse à être didactique, théorique, ou même pédagogue.Il insiste sur l’absence de concepts prédéterminés antérieurs au projet. Cette absence explique peut-être l’inattendu renouvellement du travail de Siza d’un projet à l’autre. C’est en regardant le parcours de son travail que l’on peut reconstituer l’intensité et la permanence de cette recherche.

Il faut prendre le risque des hypothèses pour essayer de le comprendre

POÉTIQUE DE LA MICRO-GÉOGRAPHIE

Dès les premières oeuvres, S iza explore la  dimension géographique du rapport entre le dessin et la nature. L’un servant de révélateur à l’autre. L’approche  du restaurant Boa Nova à Matosinhos est une expérience visuelle forte parce que la forme de l’édifice ne semble qu’effleurer la mer de rocher sur laquelle il repose. Mais en sortir est le véritable évènement. La notion d’objet s’efface et il s’établit un équilibre mobile entre la sous-face flottante du toit et la surface  de la mer, entre le dallage qui semble s’échapper du bâtiment  pour se cristalliser au dehors et  la violence des rochers.

En face,le monument à Antonio Nobre,  construit quelques vingt ans plus tard,  établit un autre type de rapport topologique en introduisant une  ligne inclinée  répondant à l’ondulation du talus. La rampe et le raccourci perspectif de l’escalier attirent la partie éloignée vers le regard de celui qui approche, augmentant ainsi l’impression de mouvance du sol naturel. L’ensemble du monument est formé de l’association d’une rampe, d’un escalier et d’un muret, installé à une certaine distance d’une dalle commémorative, inclinée elle aussi. L’écart entre les deux objets est rempli d’une lande parsemée de rochers ronds. La charge poétique du projet tient à cette mise à distance révélant la présence du paysage, qui sans cela,  ne serait qu’un terrain vague entre deux routes.

Un peu plus loin, la piscine de Leça da Palmeira poursuit l’idée d’une mise en lumière du paysage par l’introduction de la géométrie.

Les lignes qui partent de la route vers la mer produisent un contraste de pure géométrie grâce à l’unité de matière entre le béton et la roche. Après une rampe évasée, les plans horizontaux du sol se succèdent dans une suite de décalages pour aboutir à une passerelle suspendue au-dessus des rochers. Des éléments corollaires, plans inclinés, emmarchements, murets verticaux, lignes biaises s’accordent avec l’horizontale dans une véritable “poésie de la ligne droite”.

Dans les rochers, à l’approche de la mer, une courbe tendue comme un mur de barrage crée une petite piscine. Cette idée sera reprise par Siza dans le projet non réalisé d’un hôtel dans les montagnes de Madère. Au contact de l’eau de mer et des rochers, la présence de la géométrie est marquée par des lignes blanches formant une architecture d’une autre échelle.  Plus loin, la force d’ abstraction se dilue jusqu’à disparaître au milieu des rochers, laissant la piscine déverser son trop plein au contact de la mer.

L’intérêt que porte Siza au changement d’échelle, est en même temps technique et économique. Dans la maison construite dans l’avenue des Combattants à Porto, c’est le portail d’entrée qui va assumer à petite échelle toute la fonction architecturale de la façade, la part de monumentalité de la maison. Celle-ci a abandonné son rôle de représentation sociale au profit de la simple intimité familiale. Toute la civilité urbaine est confiée au mur et au portail. D’un côté le panneau d’acier trouve sa cote dans la hauteur du soubassement de ciment de la maison voisine et de l’autre, il vient se raccorder par une rehausse du mur béton à la grille existante. Portail et mur ont comme la main tendue pour assurer une continuité calme,  presque invisible,  à la rue.

Entre ces deux extrêmités se glisse une courbe, moins haute qu’une marche, qui va soulever le portail pour lui donner, par des minuscules pilotis, une présence architecturale. La bordure de béton devient socle, les tubes d’acier deviennent colonnes, le mur devient façade. C’est en regardant la succession des esquisses que l’on voit doucement l’expression plastique courbe de la façade transiter de la maison au portail.

Ce travail est une leçon sur la notion à laquelle Siza sera toujours attaché: la mesure. Le rapprochement par un patient travail des deux sens de ce mot au sein du projet est une des explications de sa capacité à trouver la justesse de l’expression, quelles que soient les circonstances. La nécessité de la forme, ou même de la simple présence de l’architecture ne se fait pas toujours sentir. La qualité, l’innovation, la force, peuvent être données à l’ensemble par un seul fragment.

Dans ce projet de l’avenue des Combattants, les quelques centimètres de pilotis et le glissement de la courbe révèlent aussi l’inclinaison du sol. Cette attention à la micro-géographie va être pour Siza une source d’inspiration constante. On la retrouve avec une pointe d’humour dans la maison près de la plage d’Arcozelo où la pente du mur mitoyen , parcequ’elle suit  la pente naturelle du site, ne serait pas visible s’il n’y avait la prolongation de la plinthe de la facade qui crée une ligne horizontale blanche sur le gris sablonneux du mur. Pris dans la ligne de carrelage, un petit robinet permet l’arrosage d’un jardin monté, lui aussi sur une plate-forme horizontale. La différence est quelque fois si faible entre ce qui est penché et ce qui est horizontal que le doute s’établit. Cette maison reprenant la hauteur et la largeur de sa voisine, disparaît par le gris ocré de son enduit dans le paysage de la dune.

C’est à Evora que Siza va trouver le lieux d’un développement intense de cette révélation de la micro-géographie par l’introduction de la géométrie dans le paysage. Deux éléments préexistants sur le site servent d’amorce à l’idée de la réalisation aérienne de toutes les infrastructures: d’une part, la grande horizontale de l’aqueduc Renaissance dessiné par Francisco de Arruda, soulignant le fond du paysage et d’autre part, trés présents quand on approche du nouveau quartier, les deux segments inclinés du mur de la Quinta de Malagueira qui traversent obliquement la colline à l’entrée du site. L’horizontale et l’oblique, associées grâce à ces deux modèles, dans la réalisation des infrastructures vont entrer en contraste avec la déclinaison graduelle des maisons,  révélant ainsi la mouvance de la géographie.

Ce travail de mise à jour est recherché à toutes les échelles du projet . Siza trouve les moyens architecturaux pour rendre perceptible même les plus faibles variations de la topographie. Un exemple est donné par l’aménagement d’une des petites places d’Evora qui s’étend devant l’école à l’entrée du nouveau quartier. Le sol semble presque plat, pourtant, la surface horizontale de la place crée doucement un creux avec le terrain naturel. Elle commence par une dalle de marbre gravée, incrustée dans un sol de petits pavés irréguliers. Sur un des côtés, une bande en granit crée une ligne qui borde toute la place, s’élevant petit à petit pour devenir muret. Seuls des emmarchements presque tous différents dans les matériaux et le nombre de marches révèlent cette infime variation. A l’autre extrêmité, c’est une double rampe qui rejoint le niveau naturel du sol. La permanence du rapport  entre l’architecture et la topographie  donne l’impression d’une préexistance, la place semble être là depuis toujours.

A Malagueira, cette sensation de durée est produite aussi par le traitement des jardins comme une quasi continuité du paysage rural. Il en va de même des rues qui, grâce aux infrastructures aériennes, ne contiennent pas les traditionnels accessoires urbains: plaques d’égout, regards, trappes de visites, coffrets électriques, etc…, le pavage de granit est vierge de ces éléments, ressemblant plus à des chemins de campagne qu’à des rues de banlieue. Par cette attention, Siza préserve un passage adouci du paysage agricole de l’Alentejo, à la ville.

LA VILLE PAYSAGE

Dans certains travaux urbains, le rapport à la ville s’établit comme si celle-ci était elle-même un paysage naturel, en utilisant le même lien d’autonomie géométrique. La banque de Vila do Conde en est un exemple. La double courbure ne produit pour le bâtiment que deux façades au lieu de quatre. Cette continuité donne au volume étroit une impression de largeur intérieure et fait pivoter l’espace de la rue vers la petite place en contrebas. C’est une des géométries les plus violentes, utilisée par Siza. A cause de cela, Siza sera confronté à l’habituel contexte hypocrite de préservation du patrimoine. Plutôt que la courte vue de l’imitation du contexte local, le bâtiment établit des rapports puissants avec le paysage urbain. L’émergence de l’édifice est comme un écho à l’autre émergence des monuments architecturaux qui dominent Vila do Conde.

A l’approche du bâtiment on prend conscience de la différence de matière entre les sous-bassements en granit des maisons voisines et le socle de marbre rose de la banque. Il crée une échancrure opalescente dans l’opacité de la rue. Le marbre, posé à livre ouvert, est utilisé pour sa qualité d’épaisseur lumineuse,  transparence qui est clairement montrée dans le portail extérieur. Par cette matière fluide couvrant paradoxalement l’élément le plus stable du projet, Siza dédouble l’effet de légèreté du rez-de-chaussée vitré, augmentant le flottement du volume blanc du bâtiment.

A la différence des géométries abstraites déconstructives, celle utilisée par Siza trouve son origine dans le site. Le plus souvent pour accentuer cet ancrage, la source de ces constructions sous-jacentes est à l’extérieur du bâtiment. Elle est généralement centrifuge. Son but est l’augmentation de l’impression d’espace intérieur et la création de liens visuels avec certains éléments du contexte extérieur. Dans la banque de Oliveira de Azeimeis, le travail de transformation successive  du projet depuis la relecture du modèle de la bibliothèque de Stirling jusqu’au projet définitif, a été un patient tissage géométrique créant des liens complexes avec la réalité. L’objet construit semble être une pure création abstraite, pourtant il établit une résonance, une “acoustique plastique”, avec le site. Il produit et intègre des échos de certains fragments de la géométrie spatiale du lieu, donnant au vide séparant les bâtiments, une réalité perceptible, une épaisseur.

Cette géométrie introduit également l’idée du mouvement comme moyen de rendre sensible, perceptible, l’association de l’espace et du temps. La succession de droites de la piscine de Leça ou la déclinaison de courbes de Vila do Conde, sont l’expression virtuelle du développement de la durée dans l’espace.

Siza crée ainsi des lieux dont il est impossible de rendre compte sans y avoir été. Un de ceux-ci est l’escalier d’entrée du pavillon de la Faculté d’architecture. L’impression ressentie en le montant, est, non seulement le mouvement du corps, mais la sensation de déplacement des éléments architecturaux eux-mêmes. Ils semblent bouger en même temps que soi, jusqu’au buste de bronze du palier qui fait comme un signe de tête.

Plus bas, dans les nouveaux bâtiments de la Faculté d’architecture, la sensation produite par la galerie d’exposition atteint une dimension impalpable, irréelle. La pesanteur s’efface au profit de l’espace seul. Une fois terminé, ce lieu ne sera que lumière fluide, mouvante, temporelle. La structure inventée pour cette galerie est miraculeuse parce qu’invisible. Elle rejoint avec perfection le but assigné à la construction par Edouardo Souto Moura quand il dit qu’elle doit “cacher l’effort”.

Lumière, espace, mouvement, apesanteur sont développées ici comme un hommage à la part impalpable de la nature. En effaçant toutes les autres dimensions, celles qui sont de l’ordre du visible, du végétal, du purement terrestre, tellement présentes dans les autres lieux du bâtiment, où chaque morceau du paysage est successivement mis en scène, Siza donne brusquement à méditer sur l’autre réalité des forces naturelles, celles que l’on ressent sans les voir, celles qui existent cachées par l’habitude.

L’introduction de la présence temporelle dans le travail de Siza rejoint l’une des innovations forte de la modernité.

Pour échapper à l’immédiateté, à l’instantané, Siza développe autour du projet une stratégie de rapport à l’espace vide, au creux, à la distance.

La perception de l’écart entre le construit et l’existant prend valeur de projet. Ainsi, il devient impossible d’en rendre compte par la photographie parce que ce qui est devant soi et ce qui est derrière sont d’équivalente importance. Le mouvement du corps dans l’espace et cette impression de temporalité donnent une dimension de plénitude.

D’autres projets donnent l’idée d’un déplacement virtuel en utilisant des éléments répétitifs. Cette utilisation, très importante pour Siza, de la répétition va entraîner souvent l’accusation de monotonie. Il  y répond dans une interview au journal “Le Monde” à propos du projet de reconstruction du quartier du Chiado à Lisbonne: “Peut-on parler de monotonie? C’est l’apparente monotonie, des bâtiments qui constituent la ville, qui accentue la beauté des monuments, des bâtiments majeurs. A Lisbonne, la richesse topographique est telle qu’on ne peut pas à proprement parler de monotonie. Certes La Baixa est systématique, préfabriquée, monotone si vous voulez, mais le dessin architectonique n’est pas tout. Il fonctionne avec la topographie, la spécificité des monuments, avec le mouvement des gens, de la foule qui passe, etc… Ca c’est l’architecture, c’est la ville”. (1)

La répétition telle qu’elle est mise en oeuvre chez Siza, est avant tout succession, c’est à dire qu’elle accepte ou même provoque les différences, les variations. Dans la suite des murs précédant l’entrée de la piscine de “Quinta da Conceiçao”  c’est la répétition de ces hauts voiles blancs et des troncs des arbres, qui provoque la profondeur et leurs décalages qui donnent le sentiment d’un espace contenu.

La répétition est aussi présente comme image de la communauté. Les murets de Sao Victor, les voiles et les escaliers de Bouça, les fenêtres de Berlin, les patios d’Evora, tous marquent l’identité collective.

UNE QUESTION DE MESURE

Cet attachement, à l’opposé de l’individualisme qui est l’esprit du temps, est bien la part la plus courageuse du travail de Siza et peut-être la plus incomprise. Pourtant, pour celui qui sait regarder, rien n’est vraiment pareil, la répétition exalte la plus petite différence. Pour Siza, la ville ne peut être seulement l’accumulation d’individualités. A chaque situation correspond la capacité du lieu ou du programme à marquer, ou pas, sa présence dans la ville.

Ce retrait, par rapport à la domination du langage ou de l’image, est fondamental pour comprendre le travail de Siza  sur la ville. Ses projets urbains où qu’ils soient, ont cette qualité de donnezr l’impression d’être  produits par les villes où ils sont construits. Ils en sont imprégnés dans la matière, dans la forme, dans la typologie, dans la technique constructive. C’est le fruit d’un long travail d’imprégnation de Siza lui-même, de promenades incessantes, de regards attentifs et de croquis rapides.

Les études pour Berlin sont exemplaires de cet effort  parce qu’ils peuvent se comparer à l’expression individualiste des architectures internationales invitées par l’IBA. La “tristesse” du langage architectural du projet de Kreuzberg est un peu comme le reflet de la mélancolie qui donne à Berlin son caractère. La forme même du bâtiment, son aspect fantomatique et sensuel, rappellent qu’aucune reconstruction ne saurait effacer totalement la part tragique de l’histoire de la ville. La présence, partout entrevue, des grands pignons de pierre, fait aujourd’hui partie de Berlin, comme les toitures en zinc font partie de Paris. Le petit passage vide entre l’immeuble d’angle de Kreuzberg et le pignon ancien  donne ainsi de la grandeur visuelle et émotionnelle à la cour intérieure. L’ilot de Schlessisches Tor possède une perméabilité qui rejoint les multiples et successives différences des status des quartiers traditionnels. Il ménage des espaces ouverts à l’usage collectif, quelque fois au détriment d’une fragile architecture.

Cette capacité de serein mimétisme où la nouveauté se fait discrète, où le langage n’est que murmure, Siza va l’utiliser dans un concours récent, Boulevard Brune à Paris. Il va reprendre ses promenades attentives portant sur la ville et les gens un regard qui fait penser à celui de Robert Doisneau ou de Jacques Prévert. L’équilibre atteint par le projet entre la continuité et la modernité donne aux immeubles du voisinage plus de dignité, ne les fait pas paraître démodés, hors d’usage, comme si l’architecture faisait partie d’un simple domaine de consommation. “Quand je propose un ensemble de bâtiments comme pour le concours que j’ai fait récemment à Paris – une école et des habitations dans une rue magnifique, un programme modeste, normal, je vois là une opportunité fantastique de régénérer le lieu. Mais je ne vois pas la nécessité d’une affirmation personnelle ou celle d’un groupe. Je trouve que c’est une erreur de proportion, de mesure que de prétendre faire dire à un bâtiment ce qu’il ne peut pas exprimer. Parce qu’il n’est pas l’Arche de la Défense, ni la Tour Eiffel. Ce n’est pas un problème de modestie, c’est une question de mesure… je pense qu’on peut travailler assez sereinement puisqu’on a des opportunités, mais il ne faut pas que le doute, des raisons d’anxiété personnelle autorisent quiconque à rompre la mesure des choses. (1)

Aujourd’hui à Paris, la mesure n’est plus de mode et il doute désormais de ne jamais y construire. Pour moi, il me reste l’image de Siza montant le boulevard de Belleville et chantonnant avec nostalgie “Ménilmontant …”

LAURENT BEAUDOUIN

(1) Le Monde – jeudi 18 juillet 1991. Interview avec Dominique Machabert.