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ARCHITECTURES AU TESSIN
Année : 1978
Auteur : LAURENT BEAUDOUIN, CHRISTINE ROUSSELOT

ARTICLE DE LAURENT BEAUDOUIN ET CHRISTINE ROUSSELOT SUR LES ARCHITECTES TESSINOIS.

ARCHITECTURES AU TESSIN

Parler d’une École ou d’une Tendance, signifie-t-il accepter un contenu unique, comme si une homogénéité des intentions ou une concordance théorique était indispensable à leur cohésion. En ce qui concerne les architectes tessinois, il semble qu’il faille chercher ailleurs ce qui les réunit. Pas de doctrine précise, pas de manifeste, il faudra se contenter de liens plus fragiles et subtils.

Suisse « italienne », le Tessin s’étend sur un territoire restreint mais d’une grande diversité : site de montagnes et de lacs, climat de soleil et de neige, paysages à la fois sauvages et urbanisés. La montagne elle-même fait que l’apparente proximité des lieux est contredite par la nécessité des détours, que le parcours droit du regard est perverti par la sinuosité des cheminements. Le regard devient un instrument de reconnaissance, les objets se perçoivent avant de s’atteindre. De cette sensation de proximité lointaine, nait le plaisir du détour. En ce sens, les projets présentés ici, en acceptant leur condition d’étrangeté vis-à-vis du site, ont une position plus « naturelle » que bien des architectures « pittoresques » ou « naturalistes ». Le bâtiment construit est un endroit particulier qui marque le paysage comme une aspérité, il devient un but à atteindre.

Ces bâtiments ne se contentent pas de se faire voir, ils donnent à voir. Perçus de l’extérieur, ils se reçoivent comme des objets particuliers ; vécus de l’intérieur, ils transforment la vision du paysage. Parmi ces bâtiments, certains deviennent des instruments d’optique, des machines à regarder, des lieux d’où le paysage est encadré et le regard contrôlé : le paysage capté acquiert ainsi un caractère d’intimité.

Les références des  architectes tessinois, dont nous présentons quelques réalisations, sont diverses ; les plus claires vont à Le Corbusier, Louis Kahn et Aldo Rossi ; mais d’autres viennent souligner des différences :Terragni et les rationalistes Italiens pour certains, Palladio et l’architecture baroque pour d’autres…On peut même remarquer que Mario Botta, Ivano Gianola et Luigi Snozzi n’hésitent pas à travailler chacun le même type « corbuséen » de maison individuelle.

L’originalité formelle n’est ainsi jamais facilement gagnée et ce d’autant plus, qu’elle s’appuie sur la redécouverte d’une science de la mise en œuvre, d’un savoir faire qui devient un moyen majeur de transformation de la réalité. Les matériaux sont expérimentés pour qu’ils regagnent du sens par rapport à leur image habituelle : le parpaing est plus qu’un aggloméré, la poutre est plus qu’un IPN et ainsi l’image même du projet est transformée : l’école est plus qu’un école, la maison plus qu’une maison. Ce regain de sens fait que chaque projet devient un détournement de son propre mythe.