MONTREUIL
COEUR VILLE DE MONTREUIL
Etude : 1992
Réalisation : 1992/2013
Surface : 72 000 m² + 24 000 m² parkings
Coût : 15 950 000 € H.T. + 6 600 000 € H.T. parkings
Maître d'ouvrage : VILLE DE MONTREUIL : LES ESPACES PUBLICS ET UNE PARTIE DES PROJETS ARCHITECTURAUX ONT ÉTÉ MODIFIÉS SUITE À UN CHANGEMENT DE MUNICIPALITÉ
Architectes : ALVARO SIZA, LAURENT BEAUDOUIN, EMMANUELLE BEAUDOUIN, AURÉLIE HUSSON
Architectes assistants : NOÉMIE GAINEAU, BÉATRICE LAVILLE, PAULO SOUZA, CHRISTOPHE THIERY, TEBELET BAKANGADIO, ANTOINE CARDON, RENÉ MAURY, ,J-Y.LEE, J-W.SEO, SANDRA BARCLAY, ANNE SOBOTTA, MARIE-JOSÉ DOUBROFF

Lauréat du Prix de l’Aménagement Urbain, catégorie Projet Urbain projet d’Alvaro Siza, Laurent Beaudouin, Christian Devillers et Michel Corajoud 1993

Projet urbain de rénovation du Coeur de Ville de Montreuil, dans le quartier de la Mairie, par Alvaro Siza avec Emmanuelle Beaudouin et Laurent Beaudouin. Le paysage de Montreuil a gardé dans sa structure les traces d’un passé fondateur. Le territoire de la ville de Montreuil est tracé sur une trame régulière qui reflète l’organisation de la production de fruits aux XVII° et XVIII° siècles par un principe de murs captant la chaleur et la restituant à des arbres cultivés en espalier. Ces murs appelés « murs à pêches » restent présents aujourd’hui dans le Coeur de Ville, malgré la disparition de la culture des fruits, ils sont dans les jardins, entre les maisons, ils se retrouvent par fragments dans les cœurs d’îlots. La ville de Montreuil s’est construite de façon naturelle entre ces murs à pêches, l’artisanat et l’industrie s’y est installé sans en perturber la structure au cours du XIX°siècle. La structure des murs à pêches a été la base de ce développement. La trame qu’ils forment est intimement liée à la topographie et à l’ensoleillement. Les lignes des murs à pêches mettent scène les mouvements du terrain, elles forment un paysage architecturé. Le plan d’urbanisme du Coeur de Ville développé par Alvaro Siza et Laurent Beaudouin sur vingt années à Montreuil, repose sur l’inversion d’une tendance généralisée à gérer les projets urbains en commençant par la table rase. Le projet porte sur une urbanisation par substitution, s’insérant sans rupture dans la ville existante pour retisser des liens détruits par des opérations réalisées dans les années 1970, ayant brutalement modifiées le visage du centre ville. La ville de Montreuil avait engagé un processus pour inverser la tendance de perte progressive de caractère de son centre historique. Les démolitions effectuées autour de la place de la Mairie, pour la construction de deux tours de bureaux et d’un grand centre commercial, ont produit une rupture du tissu préexistant, à la fois dans la réalité construite et dans les usages. Malgré l’introduction de fragments brutalement déconnectés de leur contexte, le caractère de Montreuil des XVIII° et XIX° siècles subsiste avec une étonnante persistance : les façades, en briques ou en enduit strié, dessinant les joints d’une pierre imaginaire, entourent encore et reflètent la vie familiale de communautés différentes. Un travail d’équipe a eu lieu pendant plusieurs années avec Alvaro Siza et Laurent Beaudouin comme architecte coordonnateur, pour aboutir à un projet de ville procédant par substitution et reconstruire la continuité urbaine du centre ville. Le projet est entré dans sa phase de réalisation avec la participation de différentes équipes d’architectes. Le projet de l’atelier Beaudouin comporte la mise en oeuvre du plan initié par Alvaro Siza, la coordination architecturale de l’ensemble, la réalisation des espaces publics, et la construction de 150 logements.

Tracé directeur du centre ville de Montreuil

Alvaro Siza travaille avec Laurent Beaudouin à Montreuil depuis 1992. Venu résoudre le problème exclusif du centre-ville, ils estiment que c’est toute la ville qui mérite une attention et, par là même, préconisent un autre dénouement dans un scénario urbain mal engagé. Dénouement où il est question d’accompagner fermement l’institution politique dans ces choix difficiles.[1]

Montreuil connaît, à la périphérie de Paris, une situation assez proche de ce qui se passe partout. A savoir le désenchantement survenu après le grand effort de construction et de transformation qu’ont connu les villes européennes après la guerre. Désenchantement qui succède à cette croyance en un monde nouveau et différent. A Montreuil comme dans beaucoup d’autres villes, cette construction est venue plus tard, dans les années 70, mais elle s’est faite sur la même réflexion, cette même croyance en la table rase. La non considération de la vérité topographique (talweg), de la présence de petits lotissements et des divisions antérieures du sol (murs à pêches) fait penser qu’on a travaillé ici comme sur une feuille blanche. Et le papier n’est jamais complètement blanc. Il ne l’a jamais été. De cette façon là, une partie très significative du centre ville a été complètement bouleversée. L’implantation au cœur de la ville d’un grand ensemble qui commence au sous-sol et se développe démesurément a eu des conséquences qui se sont répandues autour du centre. Les changements les plus importants survenus à ce moment là ont été l’interruption du système de rues et de l’ancienne logique d’occupation du sol. Cette interruption brutale a provoqué une décadence et une dégradation, auxquelles on est en train d’assister à Montreuil. Il s’agissait de faire le diagnostic de cette situation et de proposer des changements afin d’arrêter et d’inverser le processus de dégradation et de perte de caractère du centre historique.

Ce qu’il faut, c’est chercher avec désir et avec plaisir la beauté des villes, même à Montreuil, même si ce n’est pas évident au premier coup d’œil en raison de la proximité de Paris qui est une merveille totale. Quand on arrive au centre de Montreuil, on assiste à un vrai désastre, une catastrophe. Mais si on cherche en se promenant dans les rues qui vont du centre-ville au dehors, on découvre un autre monde. C’est une ville avec une quantité d’espaces verts, parce que l’intérieur des îlots ménage des petits patios, des petits jardins, des activités diverses, de la petite industrie, des magasins…On voit bien alors que la ville est beaucoup plus que ce qu’on trouve lorsqu’on arrive par le métro ou le bus. Il y a des maisons très agréables, très belles, avec ces fenêtres, des jalousies, des toits spéciaux et surtout la présence des jardins. Il y a l’architecture des années trente, ces habitations collectives comme à Paris, d’une très grande qualité, construites en brique et en pierre… Il y a, sous-jacent à tout cela bien sûr, la présence des murs à pêches qui donnent ce caractère si fort à Montreuil. Ce principe systématique d’organisation du territoire constitue comme de l’ordre en vigueur partout ici. Même si ces murs, ou ce qu’il en reste, ne sont pas utilisables dans leur usage originel (agriculture, horticulture), ils sont là. Il y a cette espèce d’inertie, cette permanence des murs, qui a déterminé l’occupation postérieure du terrain. Si vous regardez une vue aérienne de Montreuil, l’influence des murs dans le tissu de la ville est frappante. Les murs à pêches à Montreuil fonctionnent un peu comme la trame espagnole ou philippine des villes d’Amérique du Sud. C’est un élément ordonnateur de la géométrie qui influence tout ce qui se passe sur le territoire. La ville de Montreuil s’interroge beaucoup sur ces murs. C’est très important en effet. Et le travail de Michel Corajoud a été d’un apport très important pour l’étude.

L’observation des faits m’a fait penser qu’il fallait dans une certaine mesure, revenir à l’échelle de la ville telle qu’elle pouvait être avant les grands bouleversements. Ceci sans nier bien entendu, les transformations qui ont suscitées ces bouleversements comme les deux grandes tours qui demeurent le fait le plus brutal dans le profil de la ville. Il y a des rues commerçantes proches du centre qui fonctionnent encore bien, malgré tout. Il fallait s’en inspirer, refaire ces parcours qui s’interrompent à l’approche du grand trou au-dessus des tours. La solution proposée par Alvaro Siza et Laurent Beaudouin consiste à intégrer toute cette réalité éparse et peut-être aussi contradictoire dans un tout, un cadre qui permette de recréer un rapport entre la rue et les tours. Il est particulièrement déroutant, par exemple, inconfortable, qu’on ne reconnaisse pas immédiatement, clairement, les accès qui permettent d’accéder aux tours.

À Montreuil, Alvaro Siza et Laurent Beaudouin proposent d’isoler les tours, de les libérer de ces volumes parasites de deux ou trois étages qui s’agrippent à elles. Car ce sont eux qui donnent cette présence monstrueuse et sans rapport avec les préexistences. Isoler les tours, c’est-à-dire les voir sortir directement du sol. Ceci doit s’accompagner de l’autre coté de la rue, de constructions de deux à trois étages afin d’adoucir le rapport avec la ville ancienne et les deux tours. Dans la division en trois espaces, trois places, réside le véritable thème du travail. A savoir trouver le juste équilibre entre construit et espace libre, entre des vides et des volumes. C’est de ce rapport, de cette complémentarité avec ce qui se passe à côté que naît le confort. Cette transformation de l’espace auprès des tours porte en elle une transformation plus large et je suis sûr que ce travail aura une grande force. Non pas en raison d’une exubérance de l’architecture, mais parce qu’elle inclut à la fois le proche et le distant dans la ville. L’étude du caractère de Montreuil et sa restitution passent par un travail sur les proportions. Ce caractère, cette échelle entre les choses, cette densité font bien souvent l’originalité de la périphérie où coexistent  urbanisation outrancière et persistance du rural. C’est très net, au moins à Montreuil, mais aussi à Lisbonne.

Le programme propose une quantité importante de démolition : tout le centre commercial en grande partie désaffecté au commencement du projet, la station d’autobus, l’ancien théâtre… Ce programme est finalement en partie basé sur la démolition. En ce qui concerne les tours, Alvaro Siza et Laurent Beaudouin n’ont pas pensé qu’il fallait les démolir, indépendamment du fait économique qui ne le permet pas. Ils ne partagent pas cette idée – conservatrice au fond – de faire disparaître les faits de la  transformation antérieure qu’on peut qualifier de regrettable et qui a occasionné un certain inconfort dans la ville. Ils n’ont jamais eu cette idée à propos des tours, mais ont proposé de faire un nouveau centre-ville en considérant que la régénération pouvait s’appuyer sur ces volumes immenses. Ces tours participent désormais à l’imaginaire des habitants, et en plus  elles sont assez belles. Ce qui n’est pas satisfaisant, était la base des tours, leur liaison au sol. Cette présence des tours aperçues depuis les petites maisons de Montreuil est devenue une partie du paysage…

Par principe, Alvaro Siza est contre l’idée de démolitions de structures existantes bien souvent réutilisables, parce qu’on démolit de l’histoire et une quantité de choses qui vont avec : des bois, des pierres, des enduits – travaillés ou non, qu’importe – une quantité de choses. Parfois il est naturel d’en passer par là, mais je trouve qu’on détruit beaucoup sans raison, systématiquement. De la même façon, il trouve tout aussi systématique et stérile cette attitude quasi paranoïaque qui consiste à vouloir tout conserver, tout préserver. Ce qui est étrange dans la vie et la culture contemporaines, c’est le constant manque d’équilibre, ces attitudes en zigzag qui passent indifféremment d’un opposé à un autre, sans souci d’inclusion.

Après avoir été dessiné intégralement dans le détail, les espaces publics ont été entièrement modifiés, suite à un changement de municipalité. Le projet urbain n’a été réalisé qu’en partie : les sols des espaces publics prévus en pierre naturelle ont été remplacés par du béton désactivé, le jardin sur le toit du centre commercial a été supprimé et remplacé par une crèche, le programme du cinéma Mélies à été modifié, le jardin de l’îlot 104 a été détruit, y compris les derniers murs à pêches, ainsi qu’une belle maison du XIX° siècle qui devait être rénovée avenue de la Résistance. Alvaro Siza a dessiné une grande partie des édifices, mais seul deux bâtiments de logements ont été finalement réalisés. Ces deux bâtiments n’ont été construits que partiellement suivant les plans d’Alvaro Siza, sans respect des détails et des finitions.

De ces 20 années de travail pour la ville de Montreuil, il reste néanmoins la structure urbaine principale du projet et de nombreux bâtiments réalisés par des architectes de qualité, que ceux-là soient remerciés.

[1] Techniques et Architecture – Lieux périurbains –août septembre 1996 –  Dominique Machabert